Pathologie du fer chez l'adulte et l'enfant
Item 219 UE VIII

Dans le COFER, nous traiterons seulement les pathologies ostéoarticulaires en relation avec la surcharge en fer, aussi dénommée hémochromatose.
On parle maintenant d'hémochromatoses génétiques (au pluriel) pour désigner les différentes situations pathologiques aboutissant à une surcharge en fer d'origine génétique. La forme la plus fréquente d'hémochromatose génétique reste de très loin celle liée à la mutation homozygote C282Y (nommée actuellement pCys.282Tyr) du gène HFE chez les Caucasiens. Sa transmission est récessive. Cette homozygotie est présente chez environ 3 sujets sur 1 000 mais son expression phénotypique est très variable. C'est de cette maladie dont nous traiterons dans la suite de ce chapitre.
1 - Connaître les manifestations articulaires et osseuses de l'hémochromatose génétique HFE

Le tableau typique de l'hémochromatose associant une mélanodermie, un diabète sucré, une cirrhose, une cardiomyopathie est devenue fort heureusement rare. En effet, avec le développement des dosages biologiques et des bilans de santé, la maladie est généralement dépistée plus tôt, avant les complications viscérales, sur des anomalies des paramètres du fer. Néanmoins, les manifestations ostéoarticulaires ont la particularité d'être fréquemment révélatrices de la maladie, notamment les douleurs articulaires qui sont parmi les manifestations cliniques les plus fréquentes après l'asthénie.
1.1 - Manifestations articulaires
Les manifestations articulaires de l'hémochromatose génétique (HG) sont importantes à connaître. En effet, elles sont fréquentes (deux tiers des patients) et font souvent partie, avec l'asthénie inexpliquée, des premières manifestations de l'affection. Elles sont inaugurales dans près d'un tiers des cas, mais très souvent négligées, entraînant un retard de diagnostic de plusieurs années. La raison de ce retard diagnostique tient au fait que les manifestations articulaires de l'HG peuvent apparaître assez communes puisque globalement, la maladie entraîne des lésions d'arthrose ou de maladie à cristaux de pyrophosphate de calcium appelée communément chondrocalcinose articulaire (CCA). Néanmoins, certaines particularités doivent faire évoquer le diagnostic d'HG. Il est important de les reconnaître car poser le diagnostic aboutit à la mise en place d'un traitement par saignées qui prévient les complications viscérales graves de la maladie (cirrhose et carcinome hépatocellulaire, diabète, insuffisance cardiaque).
1.1.1 - Quand doit-on penser à une arthropathie hémochromatosique ?
- Arthrose ou CCA à un âge plus jeune qu'à l'accoutumée (moins de 50 ans).
- Arthrose à des sites habituellement préservés par l'arthrose « primitive », sans contexte post-traumatique :
– articulations métacarpophalangiennes (notamment MCP 2 et 3) +++ ;
– chevilles ;
– poignets ;
– épaules (omarthrose centrée, sans rupture de la coiffe des rotateurs).
1.1.2 - Formes cliniques
-
Formes localisées : classique signe de la « douleur à la poignée de main » (atteinte des MCP 2 et 3). - Plutôt arthralgies d'effort, raideur douloureuse limitant les mouvements. Aspect peu inflammatoire tant cliniquement qu'en échographie.
- Les épanchements articulaires sont plus rares que dans la CCA classique et le liquide généralement peu inflammatoire sauf en cas de réelle poussée microcristalline avec mise en évidence intra-articulaire des microcristaux de pyrophosphate de calcium.
- En plus des articulations sus-citées, il existe fréquemment une atteinte des hanches et des genoux.
- Le retentissement est grave puisque le risque d'avoir une prothèse articulaire est multiplié par 9 à la hanche et est augmenté dans de moindres proportions au genou et à la cheville par rapport à la population générale. Leur mise en place est aussi plus précoce.
- Dans un certain nombre de cas, le tableau est celui d'une polyarthrite inflammatoire et destructrice, parfois difficile à différencier d'un autre rhumatisme inflammatoire et notamment d'une polyarthrite rhumatoïde. Il existe des associations des deux maladies.
1.1.3 - Imagerie
En radiologie conventionnelle, l'atteinte articulaire de l'HG est proche de celle du rhumatisme à cristaux de pyrophosphate de calcium avec ou sans CCA. L'association des rhumatologues européens (EULAR) signal bien l'HG comme cause de CCA.
- Les signes les plus caractéristiques concernent tout particulièrement l'atteinte des MCP 2 et 3 : ostéophyte très particulier en « hameçon » au niveau de la tête métacarpienne, pincement articulaire.
- Signes d'arthropathie chondrale et sous-chondrale sur des articulations peu touchées par l'arthrose, avec des géodes cernées par une condensation et disposées en « chapelet » dans la zone osseuse sous-chondrale, des ostéophytes à extrémité arrondie.
- Chondrocalcinose articulaire (fig. 24.1).
Fig. 24-1 :
Hémochromatose. Arthropathie des articulations métacarpophalangiennes d'allure mixte, destructrice (pincement de l'interligne articulaire et géodes sous-chondrales) et constructrice (condensation osseuse et ostéophytose périphérique).
A. Radiographie de la main de face. B. Cliché centré sur les articulations métacarpophalangiennes.

- Il n'a pas été décrit de spécificité échographique de l'HG, mais il est évident que, comme dans les autres maladies articulaires, cette modalité d'imagerie a toute sa place, y compris pour mettre en évidence des calcifications infraradiologiques.
1.2 - Manifestations osseuses
Les surcharges en fer sont responsables d'une perte osseuse. C'est le cas de l'HG mais également des thalassémies. Dans l'HG, les études les plus récentes montrent une diminution de la densité minérale osseuse (DMO) et une augmentation du risque fracturaire. Les facteurs classiques d'ostéoporose ne sont pas retrouvés dans cette population plutôt jeune et les hypothèses anciennes la reliant à un hypogonadisme n'ont plus lieu d'être puisque l'hypogonadisme est à l'heure actuelle inexistant dans la plupart des cas, la maladie étant détectée plus tôt. Il semble que la toxicité du fer soit au premier plan de la physiopathologie de cette ostéoporose, soit directement soit indirectement en modulant d'autres systèmes importants pour le métabolisme osseux. La prévalence de l'ostéoporose dans l'HG est estimée à environ 30 % et la prévalence des fractures à 20 % (bien que ce dernier chiffre soit moins bien étayé). La recherche de l'HG comme cause d'ostéoporose en l'absence d'autre étiologie évidente est justifiée, particulièrement chez les sujets jeunes, femme ou homme.
2 - Diagnostic de l'hémochromatose génétique
2.1 - Recherche de signes de surcharge en fer en dehors des manifestations ostéoarticulaires
- Fatigue chronique (+++).
- Mélanodermie.
- Insuffisance hypophysaire, gonadique.
- Signes hépatiques, pancréatiques (y compris diabète), cardiaques.
2.2 - Dosage de la ferritine et du coefficient de saturation de la transferrine
Toute surcharge en fer entraîne une hyperferritinémie, mais toutes les hyperferritinémies ne correspondent pas à des surcharges en fer.
Il faut éliminer les causes classiques d'hyperferritinémie sans surcharge viscérale :
- syndrome métabolique (hors hépatosidérose dysmétabolique) ;
- alcoolisme ;
- inflammation ;
- cytolyse.
Le coefficient de saturation de la transferrine (Cs) est indispensable au diagnostic, couplé à celui de la ferritine. Dosés dans de bonnes conditions, le matin à jeun et si possible en s'abstenant de boissons alcoolisées plusieurs jours avant :
- hyperferritinémie : ferritine > 300 μg/l chez l'homme et > 200 μg/l chez la femme ;
- Cs ≤ 45 % : chercher une autre cause que l'hémochromatose HFE : avant tout, le syndrome métabolique, cause la plus fréquente d'hyperferritinémie, qui peut s'accompagner soit de l'absence de surcharge en fer soit d'une surcharge très modérée (dite hépatosidérose dysmétabolique) ; éliminer aussi un syndrome inflammatoire (CRP) ;
- Cs > 45 % et le plus souvent > 60 % : envisager l'hémochromatose HFE ;
Ne pas oublier que l'augmentation peut être atténuée voire masquée chez la femme non ménopausée en raison des pertes sanguines mensuelles.
2.3 - IRM hépatique
Elle permet d'authentifier et de quantifier la surcharge viscérale en fer (au niveau du foie dans le cadre de l'HG) sans avoir à réaliser une ponction-biopsie hépatique (PBH).
2.4 - Recherche de la mutation C282Y du gène HFE
À réaliser, après accord signé du potentiel probant, en cas d'augmentation (confirmée sur un deuxième prélèvement sanguin) du Cs et, a fortiori, en cas d'augmentation conjointe du Cs et de la ferritinémie.
La surcharge IRM est variable.
Seuls les patients homozygotes pour la mutation C282Y sont susceptibles de développer une surcharge en fer significative dans le cadre de l'HG HFE.
2.5 - Stades de la maladie et conduite à tenir
2.5.1 - Classification
-
Stade 0 : absence d'expression clinique ou biologique. - Stade 1 : augmentation isolée du taux de Cs à 45 %. En pratique, il est le plus souvent supérieur à 60 % chez l'homme et 50 % chez la femme.
- Stade 2 : stade 1 + augmentation de la ferritine au-delà de 300 μg/l chez l'homme et 200 μg/l chez la femme, mais sans aucun signe clinique.
- Stade 3 : stade 2 + diminution de la qualité de vie liée à l'asthénie, l'impuissance, les arthropathies.
- Stade 4 : stade 2 + compromission du pronostic vital liée à une cirrhose (avec risque de carcinome hépatocellulaire), un diabète insulinodépendant, une cardiomyopathie.
2.5.2 - Conduite à tenir
Stades 0 et 1
Il n'y a pas d'élévation de la ferritinémie. Aucun examen complémentaire systématique n'est recommandé en dehors de la mesure de la ferritinémie et du Cs. Un examen clinique soigneux est nécessaire à la recherche d'une asthénie, d'une mélanodermie, de douleurs articulaires, d'antécédents familiaux.
Stades 2, 3 et 4
En plus de l'examen clinique et du bilan martial, les explorations se focalisent sur quatre organes :
- le foie : transaminases et échographie hépatique en cas d'hépatomégalie clinique ou d'élévation des transaminases. S'il existe une hypertransaminémie ou une hépatomégalie ou une ferritinémie supérieure à 1 000 μg/l, une ponction-biopsie hépatique est indiquée, non pas pour faire le diagnostic (établi sur l'élévation des paramètres martiaux et l'étude génétique) mais pour déceler une éventuelle fibrose ou cirrhose ;
- les gonades : chez l'homme, il faut rechercher d'une part des signes cliniques d'hypogonadisme et, d'autre part, doser la testostéronémie ;
- l'os : une ostéodensitométrie est recommandée par la HAS, notamment en cas d'existence de cofacteurs d'ostéoporose tels que l'hypogonadisme, la ménopause ou une cirrhose ;
- le cœur : une échocardiographie est indispensable.
3 - Prise en charge des manifestations ostéoarticulaires de l'hémochromatose
Le principal traitement de l'hémochromatose génétique est représenté par les saignées régulières de manière à normaliser le taux de ferritine < 50 μg/l et si possible le Cs < 45 %. Elles permettent de prévenir les complications viscérales graves de la maladie.
Malheureusement, elles sont peu efficaces sur les manifestations articulaires, dont le traitement est donc essentiellement symptomatique.
- Il est fondamental d'assurer un suivi rhumatologique régulier de ces patients pour s'assurer de l'observance de ce traitement certes symptomatique mais le plus souvent efficace s'il est bien conduit et combiné.
- La première étape consiste à proposer des traitements antalgiques de palier I ou de palier II, de façon suffisamment prolongée.
- Les AINS (ou la colchicine) peuvent être utilisés ponctuellement en cas de crise aiguë ou plus inflammatoire, de manière limitée dans le temps et en tenant compte des comorbidités et des autres traitements des patients.
- Les infiltrations articulaires sont souvent très efficaces.
- Il ne faut pas négliger les mesures de kinésithérapie, d'ergothérapie (orthèses), de podologie…
- Le traitement de l'ostéoporose de l'hémochromatose ne diffère pas du traitement de l'ostéoporose post-ménopausique ou masculine.
Légende :
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